Édito

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« La crise sanitaire souligne la nécessité de repenser la ville, mais aussi le besoin de conserver des transports publics urbains forts. »


Catherine Guillouard
Présidente-directrice générale du groupe RATP

Crise sanitaire, performances du Groupe, impact du mouvement social, innovation, loi d’orientation des mobilités… Catherine Guillouard revient sur les événements marquants de l’année 2019 et sur sa vision de la ville durable de demain.

La crise du Covid-19 a entraîné des bouleversements sans précédent. Comment le Groupe a-t-il traversé cette période ?

Catherine Guillouard : D’abord en assumant pleinement sa mission de service public, et je veux saluer ici les femmes et les hommes de l’entreprise qui ont œuvré sans relâche pour permettre à tous les professionnels exerçant des métiers essentiels, et en particulier aux soignants, de se déplacer pendant le confinement. La pandémie mondiale nous a, comme tant d’autres, frappés de plein fouet. Mais elle a aussi mis en évidence le rôle essentiel de la mobilité dans notre quotidien et rappelé que jamais la notion de service public fondamental n’avait aussi bien porté son nom.

Quelques mois auparavant, un mouvement social majeur avait également souligné le rôle crucial de la mobilité dans nos vies

C. G. : Oui, et nous avions mis en œuvre des moyens très importants pour atténuer son impact sur le quotidien des Franciliens, avec trois grandes priorités : assurer un service minimal en heure de pointe sur les lignes structurantes ; diffuser une information claire, transparente et en temps réel, et proposer, grâce à nos partenaires, une offre de transport complémentaire. À l’issue du mouvement, nous avons aussi, en accord avec Île-de-France Mobilités, souhaité rembourser un mois de passe Navigo à nos clients abonnés, ce qui représente un effort commercial d’une centaine de millions d’euros pour la RATP.

Quel a été l’impact sur les performances de l’entreprise ?

C. G. : Ce long mouvement social a fortement dégradé nos résultats 2019. Mais nous avons tout de même pu annoncer une croissance de 2,5 % de notre chiffre d’affaires, à 5,7 milliards d’euros, en grande partie due au développement dynamique de nos filiales. En France, les équipes RATP Dev ont remporté Angers, Brest, Saint-Malo, Lorient et Creil. Si certaines mises en service, au Moyen-Orient notamment, ont été retardées et si le Brexit pose des difficultés, la dynamique demeurait excellente fin 2019, avec + 10 % de chiffre d’affaires pour RATP Dev. Quant à nos autres filiales, comme RATP Real Estate, RATP Travel Retail ou RATP Connect, leurs succès démontrent notre légitimité de partenaire global des villes. Notre résultat net est resté positif à 131 millions d’euros ; hors effet grève, sa croissance aurait été de 40 %.

En 2019, l’activité a été particulièrement intense en Île-de-France et à Paris. Quelles sont les avancées ?

C. G. : Les changements sont rapides et structurants. En avril 2019, pour la première fois depuis soixante-dix ans, avec Île-de-France Mobilités et la Ville de Paris, nous avons ajusté l’offre aux évolutions de la démographie et des usages, en procédant à une refonte complète du réseau de bus de Paris et sa petite couronne. Cela a nécessité trois ans de concertation et la mobilisation de quelque 10 000 salariés du Groupe. Nous avons aussi progressé dans le déploiement de notre plan Bus2025 de conversion rapide et massive des centres bus vers l’électrique et le biogaz. Et, bien sûr, nous sommes plus que jamais partie prenante du gigantesque chantier du Grand Paris ; les travaux de prolongement de quatre lignes de métro (4, 11, 12, 14) progressent et le prolongement de la 14 au nord devrait être inauguré dans les prochains mois.

Au-delà de ces grandes transformations, comment améliorez-vous la mobilité au quotidien ?

C. G. : En Île-de-France, sur le réseau RATP, nous avons lancé « Mon Client & Moi ». Ce programme dédié à la réinvention de l’expérience client a déjà eu des effets visibles et concrets sur la propreté des espaces, l’information voyageurs, la billettique ou encore la relation de service. Autre élément d’amélioration : avec le soutien d’Île-de-France Mobilités et des autres co-financeurs publics dans le cadre du contrat de projets État-Région, nous avons, cette année encore, investi un montant record avec 2,2 milliards d’euros, soit plus de 38 % de notre chiffre d’affaires dont 1,7 milliard d’euros en Île-de-France au travers de notre contrat avec Île-de-France Mobilités pour la maintenance et la modernisation des lignes de métro et le renouvellement du matériel roulant, et plus de 400 millions d’euros avec la Société du Grand Paris pour les extensions de lignes de métro dans le cadre du Grand Paris.

Enfin, après la séquence du mouvement social de fin 2019 et en dépit de la pandémie liée au Covid-19, nous partons à la reconquête de nos clients, en particulier en lançant une charte d’engagements voyageurs en 2020 et en faisant des efforts très significatifs dans la propreté et la désinfection du réseau, des espaces et des matériels roulants. Et nous saisissons l’opportunité offerte par la loi Pacte pour mener une réflexion en profondeur sur notre mission et notre raison d’être.

2019, c’est aussi l’année du vote de la LOM, la loi d’orientation des mobilités. Quels sont pour vous les points saillants du texte ?

C. G. : C’est bien sûr un texte très structurant pour nos activités, en France et ailleurs. En élargissant le principe de spécialité auquel nous sommes soumis en tant qu’établissement public, il nous permet de continuer à nous développer en tant que partenaire global des villes. Sur la question centrale des données, la LOM pose un cadre clair pour le partage de cette ressource clé et c’est une bonne chose. Autre point important : en confiant au groupe RATP la sûreté du Grand Paris Express, le texte consacre l’excellence et la légitimité de nos équipes de protection et de sécurité des réseaux.

Par ailleurs, l’ouverture à la concurrence induit une parfaite étanchéité entre nos activités de gestionnaire d’infrastructure (GI) et d’opérateur de transport, ce qui nous a conduits à mener un chantier d’envergure pour mettre en place une rémunération des capitaux engagés par le GI tel que prévu par la loi. En effet, la LOM prévoit qu’elle fasse désormais l’objet d’un examen attentif par l’Autorité de régulation des transports. Enfin, et surtout, nous avons veillé à ce que, dans l’optique de l’ouverture à la concurrence de notre réseau bus, la loi contienne des garanties sociales claires pour tous les salariés concernés.


« Nous sommes désormais le 4e opérateur mondial en chiffre d’affaires et nous allons poursuivre cette dynamique. »

L’innovation est un enjeu fort. Comment la stimulez-vous ?

C. G. : En participant à des programmes phares sur tous les grands sujets : véhicule autonome dans le cadre du programme national France véhicules autonomes, véhicules volants avec Airbus et ADP, mobility as a service (MaaS) à travers une première expérimentation en Île-de-France d’une appli rassemblant différents modes de transport baptisée « MaaX » pour mobility as an experience, économie circulaire avec la Ville de Paris… Et en favorisant la créativité interne. La première édition du programme SMART, qui embarque nos salariés dans un processus d’identification et de développement de nouvelles pistes de croissance, a déjà produit des pistes de travail sur le co-working ou la logistique urbaine.

Et nous avons inauguré en 2019 notre Usine digitale, véritable accélérateur de l’innovation : plus d’une centaine de collaborateurs y développent des projets en mode agile.

Et demain ?

C. G. : Le marché dans lequel nous évoluons, celui de la mobilité et de la smart city, attire énormément d’opérateurs, acteurs traditionnels ou issus de la nouvelle économie. Pour exister dans ce paysage, il faut être très performant, solide, offrir une haute qualité de service voyageur et savoir innover dans toutes ses expertises. Nous sommes désormais le quatrième opérateur mondial de transport urbain en chiffre d’affaires. Nous allons poursuivre sur cette dynamique, seuls ou avec de grands partenaires. En France, par exemple, nous avons créé avec Getlink, un acteur majeur des infrastructures de mobilité, une joint-venture en vue de l’ouverture du marché TER, sur lequel nous entendons clairement nous positionner. En Australie, nous allons répondre avec l’opérateur leader John Holland à l’appel d’offres du métro de Sydney. Car se transformer pour gagner en performance, c’est aussi s’associer.

Dans une perspective post-Covid-19, quel futur pouvons-nous construire ?

C. G. : Ce que nous dit la crise liée au Covid-19, c’est qu’il est urgent de repenser la ville, et la place qu’y occupent les transports publics. Pour que nos villes, nos territoires gagnent en résilience, il faut des services de transport public forts. Pour cela, il va falloir regagner la confiance de nos clients car, si nous échouons, nous ouvrirons la voie à un report modal massif, pas seulement sur les nouvelles mobilités, mais aussi sur la voiture, ce qui serait un retour des décennies en arrière. Nous sommes prêts, avec l’ensemble des acteurs de la mobilité, au premier rang desquels nos autorités organisatrices, à nous engager et à agir, mais les transports publics urbains doivent faire l’objet de plans d’aide et d’investissements massifs, non seulement au niveau national mais aussi au niveau européen dans le cadre du green deal.